Bâtisseurs de Possibles: Interview

Apprendre aux élèves, dès le plus jeune âge, qu’ils peuvent aussi avoir un impact sur le monde qui les entoure, que les bonnes idées ne sont pas l’apanage des adultes, que la réflexion et le travail de groupe peuvent transformer des rêve en réalité, c’est la mission que s’est donnée l’équipe de Bâtisseurs de Possibles depuis 2013. Interview.

Vous vous en souvenez peut-être, je vous avais parlé il y a quelque temps de cette enseignante Allemande, Mareike Hachemer, dont une des passions est de montrer à ses élèves, par le biais de projets, qu’ils n’ont pas besoin d’attendre leur sortie de l’école pour avoir un impact concret et positif sur leur entourage? Cette idée m’avait largement séduite. Alors quand j’ai découvert qu’une association essayait de faire passer ce message à plus grande échelle, ma curiosité fut piquée à vif. Cet été j’ai rencontré à Paris l’équipe de Bâtisseurs de Possibles. Marianne Figarol, responsable de l’animation de la communauté des Bâtisseurs de Possibles, a bien voulu répondre à mes questions.

Bâtisseurs de Possibles

Bâtisseurs de Possibles

Isabelle: Bonjour Marianne, pourriez-vous nous présenter Bâtisseurs de Possibles en quelques mots?

Marianne: Bâtisseurs de Possibles a été créé en 2013 et sa démarche se base sur celle du projet Design for Change lancé en Inde en 2008. L’objectif principal est d’utiliser les outils et la pédagogie de projet et du Design Thinking¹ pour donner du sens et renforcer les apprentissages des élèves. Placer les enfants dans une dynamique de projet leur permet de mieux appréhender les compétences qu’ils doivent acquérir, d’apprendre à travailler et à prendre des décisions en groupe, à chercher des solutions en dehors du cadre purement scolaire et à faire l’expérience d’avoir un impact concret et précis sur leur environnement. Il s’agit donc aussi de développe leurs compétences émotionnelles, sociales et civiques. Dans nos projets, nous partons toujours des idées des enfants: que veulent-ils améliorer dans leur environnement? Ce parti pris est un élément crucial pour nous. Il renforce la motivation et l’implication des élèves, notamment de ceux qui sont en difficulté.

Isabelle: Comment fonctionne cette dynamique de projet?

Marianne: Notre méthodologie comporte quatre étapes:

1) Identifier un problème qui touche les élèves et pour lequel ils aimeraient apporter une solution. Au cours de cette phase, l’observation est primordiale. Il ne s’agit donc pas de se précipiter sur de propositions de solutions, mais tout d’abord de bien comprendre les causes et les besoins réels des personnes concernées par ce problème. Cette phase comporte donc souvent des recherches et des interviews avec différents acteurs.
2) Imaginer une solution à ce problème. Cette phase fait une large place à l’imagination. Les élèves peuvent proposer toutes les solutions qui leur viennent à l’esprit. Puis, il s’agit de choisir. Là interviennent des problématiques d’efficacité (quelles solutions sont-elles à même de résoudre le problème au mieux?), de ressources et de contraintes (quelles solutions sont-elles réalisables?), et de débat de groupe (comment argumenter? comment prendre une décision? comment accepter la décision finale?).
3) Réaliser la solution. Cette phase se veut très itérative. Il s’agit de faire un prototype, de se tromper, d‘apprendre de ces erreurs, et de recommencer. Les élèves sont aussi encouragés à chercher des réponses auprès d’intervenants externes s’ils ne trouvent pas les réponses par eux-mêmes, à entrer en relation avec des acteurs qui peuvent les aider à réaliser leur projet (mairie, entreprises et associations locales, autres établissements scolaires,…).
4) Partager l’expérience. Les élèves font un bilan de ce qu’ils ont vécu: ce qu’ils ont appris, ce qu’ils feraient différemment une prochaine fois…S’ensuit une présentation du projet aux acteurs concernés: parents, école, mairie, habitants du quartier,…

Les 4 étapes de la pédagogie de projet selon Bâtisseurs de Possibles

Les 4 étapes de la pédagogie de projet selon Bâtisseurs de Possibles

En Espagne, il existe aussi une cinquième étape plutôt intéressante: Faire évoluer le projet. Les enfants sont amenés à réfléchir sur les façons de faire vivre le projet après l’année scolaire. Ils se posent donc les questions de savoir ce que eux peuvent continuer à faire et comment transmettre aux classes suivantes ce qui a été réalisé.

Isabelle: Quel a été votre projet préféré cette année?

Marianne: Difficile à dire! Les projets sont très variés. Souvent, les enseignants des petites classes donnent comme cadre l’école. C’est passionnant de voir comment les enfants perçoivent le vivre-ensemble et les problèmes que cela peut engendrer. Nous avons par exemple beaucoup de projets autour des toilettes. De nombreux enfants n’osent pas y aller de peur de s’y enfermer par exemple!

Un projet ambitieux a vu le jour dans un collège de la région lilloise. Des enseignants de 6ème ont voulu aborder le point de programme de géographie “observer son environnement proche” par la géographie prospective. Il ne s’agissait donc plus seulement de décrire l’environnement, mais de se demander comment il pourrait être amélioré. Les élèves ont alors choisi de transformer le cimetière en espace de vie. Ils avaient observé que c’était le seul endroit qui soit bien entretenu dans le quartier! Ils ont donc prévu d’y adosser un parc. Le long du canal bordant la ville, ils ont aussi envisagé d’implémenter des fermes aquacoles dans l’espoir d’attirer par la suite des restaurants! Ils ont aussi imaginé construire des piscines propres en nettoyant le canal afin d’offrir aux équipementiers sportifs locaux des centres de tests. A la fin de l’année scolaire, les élèves de cette classe avaient réalisés des plans et des études très concrètes. Nous réfléchissons maintenant avec les enseignants à comment poursuivre ce projet et incluant le acteurs publics locaux.

Un autre projet que j’ai aussi beaucoup aimé fut celui d’une classe de Normandie qui décida de créer un verger conservatoire. Lors de la visite d’un apiculteur dans leur classe, les élèves se sont rendus compte que même chez eux, en Normandie, de nombreuses espèces de plantes étaient menacées. Ils sont allés en discuter avec la mairie qui leur a donné un terrain, et avec des entreprises locales. Ils ont demandé à un collège agricole de la région des les aider à choisir les espèces et aujourd’hui il y a déjà cinq arbres plantés dans le verger! A terme, ils aimeraient que le projet soient repris par les classes suivantes et que le verger compte 20 arbres.

Bâtisseurs de Possibles

Bâtisseurs de Possibles, crédit photo: Bâtisseurs de Possibles

Isabelle: Et que se passe-t-il quand un projet n’aboutit pas?

Marianne: Nous sommes là pour accompagner les enseignants qui se lancent dans l’aventure! C’est aussi ça la vie normale d’un projet. La raison la plus fréquente pour laquelle un projet n’aboutit pas est le manque de temps. La fin de l’année scolaire arrive toujours trop tôt! Nous aidons les enseignants à tirer un bilan avec leurs élèves: qu’ont-ils appris? Peuvent-ils classifier ce qui reste à faire selon le temps nécessaire? Que feraient-ils différemment la prochaine fois? Lorsque ce genre de discussion a lieu, la frustration de ne pas avoir mené le projet à bien est largement moindre pour tous! Et les enfants prennent conscience qu’ils ont quand même appris plein de choses, même si le projet n’est pas allé jusqu’au bout.

Isabelle: Comment pouvez-vous être sûrs que cette démarche de projet apporte les fruits escomptés?

Marianne: Comme je vous l’ai dit, notre démarche n’est pas entièrement nouvelle. Elle se base sur ce qui a été fait dans la cadre du Design for Change en Inde. Cette organisation a collaboré avec le Good Project (lié au Project Zéro de La faculté d’éducation de Harvard) pour étudier l’impact de cette méthode (conclusions de l’étude ici²). Nous recevons aussi beaucoup de retours des enseignants impliqués. Pour le moment, nous avons récolté beaucoup d’informations qualitatives. Nous sommes aussi en train de mettre en place des instruments de mesure pour donner une vision plus structurée de notre impact.

Isabelle: Pourquoi les enseignants se lancent-ils dans l’aventure?

Marianne: Nous remarquons trois grandes raisons: certains enseignants sont attirés par l’idée d’améliorer une situation, d’autres veulent utiliser la pédagogie de projet pour redynamiser un groupe, et enfin certains sont déjà sensibilisés à la pédagogie de projet et sont à la recherche de soutien et d’une communauté avec qui partager et avancer.
Notre structure est là pour faciliter le déroulement des projets. Nous intervenons à tous les niveaux pour aider les enseignants. Nous avons développé des outils avec eux, mais aussi pour les élèves et toutes nos ressources sont disponibles gratuitement sur notre site. Ponctuellement, nous faisons aussi office de facilitateur ou de médiateur avec les intervenants externes s’il y a des blocages pour leur expliquer notre démarche. Notre but est vraiment d’offrir des solutions clé en main pour les enseignants et de faire le maximum pour que le projet aboutisse!

Isabelle: Aujourd’hui vous touchez quelques 4 000 enfants. Quelles sont vos prochaines étapes?

Marianne: Notre but est de toucher un maximum d’élèves: 80 000 dans les 3 prochaines années, ce qui implique d’arriver à avoir 3 000 adultes qui se lancent. Nous nous focalisons particulièrement sur les zones d’éducation prioritaires. Pour cela, nous devons convaincre les enseignants et leur faciliter la vie! Comme je viens de le dire, nous avons investi beaucoup de temps dans la structuration des outils. Nous faisons aussi de la formation, et nous préparons mêne un MOOC pour septembre! Notre but pour cette année scolaire qui démarre c’est d’atteindre une masse critique pour dynamiser les échanges et la communauté d’enseignants. Idéalement, dans certaines région nous aurions une communauté assez dense pour qu’il y ait des rencontres locales. Nous voulons aussi utiliser les leviers que sont les mairies et les communes faisant partie du réseau des Villes amies des enfants. Nous avons également lancé des programmes de formation, avec l’ESPE de Créteil par exemple. Nous sommes aussi en train de mettre en place un programme avec les professeurs de la ville de Paris. Nous avons donc encore beaucoup de travail! Mais le jeu en vaut la chandelle!

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Si cette initiative vous a plu à vous aussi, n’hésitez pas à en parler autour de vous! Vous trouverez toutes les modalités pratiques sur le site pour savoir comment soutenir au mieux Bâtisseurs de Possibles. Et voici encore la vidéo d’intro :)


Découvrez Bâtisseurs de possibles by BatisseursdePossibles

 

¹ Le Design Thinking est une méthode formelle visant à générer des solutions pratiques et créatives dans le but d’atteindre un résultat futur meilleur que la situation actuelle.

² Sur ce site, on ne trouve pas la méthodologie de l’étude. C’est bien dommage 😉

 

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