Comment améliorer l’évaluation des enseignants en France?

Si les débats autour de l’éducation sont souvent passionnés (voire violents), il y a un sujet qui fait l’unanimité: l’évaluation des enseignants est loin de fonctionner de façon satisfaisante. Si les causes sont plutôt bien connues, le changement ne semble pas être pour demain. Quels enseignements et pistes de réflexion pouvons-nous tirer du projet MET (Measure for Effective Teaching)?

Comme tout bon fonctionnaire, les enseignants doivent être évalués (ce qui, dans les faits se traduit par “être notés”). Parfait! Mais comment cette évaluation fonctionne-t-elle vraiment et, surtout pourquoi n’atteint-elle pas ses objectifs? Quelques recherches et quelques discussions avec des enseignants et des inspecteurs- que je remercie infiniment pour leur temps et leur aide – m’ont apporté des éléments de réponse. Comme beaucoup de parents sans doute je m’attendais à un bilan plutôt négatif, qu’il m’a semblé pertinent de partager avec vous. En quoi le système en place es-il déficient – et de quelles pistes de réflexion pour tenter d’améliorer les choses (on n’est pas là que pour râler après tout!) disposons-nous?

 

Pour faire court, disons que le dysfonctionnement du système d’évaluation des enseignants provient de 3 sources.

1 – Les objectifs de l’évaluation des enseignants ne sont pas clairs

Si les textes prévoient bien un contrôle des enseignants qui “doit permettre d’évaluer leurs activités pédagogiques et éducatives” ¹, la finalité de cette évaluation est source d’interprétations présentées comme contradictoires: nous trouvons-nous en face d’une évaluation formative qui aurait pour but d’aider les enseignants à améliorer leurs pratiques? Ou d’une évaluation sommative qui servirait à mener des politiques de gestion des ressources humaines (motivation par la reconnaissance du travail bien fait, progression de carrière,…mais aussi rémunération)? De nombreux experts ne pensent pas que l’on puisse faire co-exister ces deux aspects: une fois la note donnée, les efforts nécessaires à la construction d’une relation de confiance requise en vue de donner des conseils d’amélioration n’auraient plus de chance d’aboutir. Ou a contrario, si l’on adopte une démarche de formation, pourquoi donner une note? Ces arguments ignorent le fait que c’est pourtant de cette façon que fonctionnent bien des entreprises privées (du moins celles dont les ressources humaines sont bien gérées – ne rêvons pas quand même!) et font étrangement écho au débat sur l’utilisation des notes envers les élèves²! Quoiqu’il en soit, le débat n’étant pas clos, aucune position officielle n’a été adoptée… et les textes restent flous…

Par ailleurs, le contenu de l’évaluation des enseignants souffre du même manque de définition. Quelques grandes lignes existent sur ce que doivent observer les inspecteurs (ex.: respects des programmes, ou alors un grand classique: la tenue des cahiers) et les chefs d’établissement du second degré (“assiduité, efficacité et rayonnement”). Mais dans la pratique, chacun fait selon ce qu’il pense de toute bonne fois être le mieux. L’on pourrait arguer que ce manque de définition protège la liberté pédagogique des enseignants, mais ne risque-t-on pas alors de tomber soit dans l’arbitraire (chacun actant ou jugeant selon ses propres opinions) soit dans une sorte d’égalitarisme ou toute méthode se vaudrait? Bien sûr dans la pratique quotidienne, on peut sans doute souvent compter sur le bon sens des uns et des autres, mais quid des cas extrêmes?

2 – Le système d’évaluation est un carcan figé qui ne peut pas rendre compte de la performance des enseignants

Comme s’il fallait combler l’espace laissé à la libre interprétation des acteurs, le système d’évaluation a fait l’objet d’un verrouillage quant aux procédures et aux choix de la note.

Je passe rapidement sur le fait qu’il n’existe pas moins de 5 statuts d’enseignants du public, chacun ayant sa propre procédure d’évaluation³.

Plus important à souligner est le fait que la note des enseignement, qu’elle varie entre 0 et 20 pour les professeurs des écoles ou de 0 à 100 dans le second degré, ne peut être fixée librement par les inspecteurs. Heureusement me direz-vous puisque ceux-ci ont une marge d’interprétation trop grande! Oui…sauf que…les marges de manoeuvre sont souvent encadrées par une grille de notation fixe (un exemple ici) et varient en fin de compte surtout en fonction de l’échelon administratif de l’enseignant.  Je vous renvoie ici à un article très intéressant de Bruno Suchaut, qui explique comment la note continue à augmenter en fonction de l’ancienneté alors même que l’efficacité semble elle connaître un optimum et ensuite ne plus (beaucoup) progresser.

évaluation des enseignants

source: Bruno Suchaut, Café Pédagogique, décembre 2014

Comment croire alors que la note représente le réelle performance de l’enseignant concerné?

3- Sa mise en oeuvre au quotidien est peu homogène et peu efficace

Enfin, la réalité sur le terrain n’est pas, dans de nombreux cas, satisfaisante.

C’est avant tout le rythme des évaluations qui pose problème. Il est- ou devrait être- en moyenne de 2 à 4 ans. C’est déjà peu: imaginez un enseignant peu performant: c’est, à 30 élèves par classe, 120 enfants qui auront de moins bonnes chances de progresser avant que cet enseignant ne soit détecté! Et a contrario, imaginez un prof motivé et performant. Sans reconnaissance et sans retour, seul dans sa classe, combien de temps va-t-il rester motivé? Un enseignant me disait que lui n’avait eu que 5 inspections en 27 ans de carrière: la première juste après son entrée en fonction et la deuxième 11 ans plus tard sur sa propre demande.

C’est ensuite le manque d’informations que reçoivent en retour les enseignants suite à une évaluation pédagogique. Les rapports des inspecteurs sont parfois (souvent?) pro-formatés, avec des formulations de circonstance. Des enseignants m’ont dit qu’il fallait lire entre les lignes…en ce qui concerne les rapports que j’ai eu l’occasion de lire….il y en avait bien peu des lignes! La situation est parfois (souvent?) similaire pour la note administrative (sur les 100 points de la note des enseignants du second degré, 40 sont attribués par le chef d’établissement): l’existence, ou non, d’un entretien en sus de la note dépend du bon vouloir de chacun.

Et enfin, c’est aussi parfois (souvent?) l’attitude des enseignants qui pose problème. N’ayant pas l’habitude d’être évalués, ils sur-investissent parfois cet événement, et adoptent parfois (souvent?) un comportement de maître à élève envers l’inspecteur, et ne profitent pas assez de l’entretien avec celui-ci pour obtenir des informations qui l’aideraient dans son quotidien. Le fait que la note résultant de l’inspection ait une conséquence financière pour l’enseignant n’incite pas non plus forcément à prendre des risques devant l’inspecteur, mais plutôt à lui montrer ce qui est déjà bien maîtrisé. C’est normal, c’est humain, mais c’est dommage!

Bref, nous avons devant nous un système qui ne permet ni d’améliorer la performance des enseignants, ni de rendre compte du travail (très souvent!) fantastique qu’ils effectuent, ni de gérer de façon équitable et transparente les carrières des ces fonctionnaires. Le manque de moyens explique peut-être certains aspects, comme la rareté des évaluations, mais c’est l’ensemble du système qui est à revoir.

Mais comme je le disais en introduction, il ne suffit pas de râler!  Pour qu’un nouveau système soit plus efficace, l’évaluation des enseignants devrait répondre aux critères suivants:

– Fiabilité: refléter la performance réelle des enseignants

– Efficacité: atteindre les objectifs fixés – et donc il faut justement les fixer, ces objectifs!

– Equité: une application similaire pour tous

– Faisabilité: être applicable en termes de coûts et d’utilisation des ressources

– Acceptabilité sociale: chaque acteur du système doit pouvoir s’identifier à ce sytème et , du moins en période de transition, les situations financières ne peuvent être bouleversées.

Bref, la fameuse quadrature du cercle! Je vous ai déjà parlé du projet MET (Measure for Effective Teaching), une tentative financée par la Fondation Bill et Melinda Gates de trouver un processus capable de mieux mesurer la performance des enseignants afin de les accompagner et de les soutenir dans leur progression. Ce projet ouvre selon moi des pistes intéressantes et qui, au moins pour certaines d’entre elles, correspondent aux critères de réussite que devrait remplir un nouveau système d’évaluation.

Si ce modèle n’est sans doute pas transposable dans son intégralité (notamment du fait du critère de coûts et du fait que la performance des élèves est un peu plus facile à mesurer aux États-Unis où des test standardisés sont encore très souvent utilisés), voilà les aspects qui, je crois, pourraient être intéressants à intégrer:

  • une grille de lecture du déroulement d’une heure de classe, selon des taxonomies pré-définies et qui existent déjà aux États-Unis (un exemple ici). Bien entendu ces taxonomies pourraient être adaptées au contexte français, mais pourquoi essayer de réinventer la roue à chaque fois?
  • la volonté d’observer de nombreuses heures de cours pour satisfaire au critère de fiabilité. Si l’utilisation de la vidéo peut paraître intrusive, on peut aussi imaginer demander à des collègues de venir observer une classe et de fournir un retour à chaud et bien plus informel. Cela permettrait aussi de renforcer l’aspect collectif des activités d’éducation et de sortir les enseignants de la solitude dont ils se plaignent parfois.
  • demander l’avis des élèves sur la performance des enseignants. Relativement simple à mettre en place, ce retour est, selon le MET assez prédictible de l’augmentation du niveau des élèves.

Bien sûr, cela nécessiterait de la part de chacun un changement important, mais le jeu en vaut la chandelle non? Si nous arrivions à créer un système adéquat, tout le monde en profiterait: les enseignants seraient mieux formés, plus motivés et auraient des carrières plus différenciées, les inspecteurs auraient une tâche plus intéressante, les parents auraient plus confiance dans les enseignants…et enfin last but not least, les élèves auraient des profs (encore) meilleurs!

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¹ Note de service n°83-512 du 13 décembre 1983, modifiée par la note de service n°94-262 du 2 novembre 1994, citée dans le Rapport sur l’évaluation des enseignants de 2013

² Si la perspective sommative semble appropriée pour les enseignants en tant qu’outil de gestion de carrière, elle semble moins l’être pour les élèves pour lesquels les enjeux de carrière n’interviendront que plus tard et en dehors de l’école. Une approche formative des notes envers les élève devrait donc largement prendre le pas.

³ Les professeurs des écoles (notés sur 20 sur proposition de l’inspecteur), les professeurs de lycée professionnels, les professeurs certifiés, les professeurs d’Education Physique et Sportive, les professeurs agrégés.

 

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