“Jules Ferry et l’enfant sauvage – Sauver le Collège” par Mara Goyet

Professeur d’Histoire-Géographie et écrivain, Mara Goyet plaide dans son ouvrage Jules Ferry et l’enfant sauvage – Sauver le collège (2014) pour un collège unique dans lequel l’efficacité et l’impact sur les élèves seraient remis au centre des discussions. Elle nous offre dans ce livre une analyse fine et sensible, toute en tendresse et en humour du quotidien des classes de collège.

Que le collège unique échoue aujourd’hui à remplir son rôle ne fait plus vraiment débat. Les résultats de comparaisons internationales ne sont pas les seuls à le proclamer. Les chiffres de l’illettrisme ou les débats actuels sur la laïcité et le vivre ensemble en sont des témoins bien plus tangibles encore.

Pour Mara Gayet, trois tendances de fond sont à l’origine de l’échec du collège:

  • La massification ou le fait que le collège se soit assigné comme mission d’accueillir (presque) tous les enfants d’une classe d’âge. Cette approche, si généreuse et démocratique soit-elle, a comme conséquence directe de placer ensemble des élèves aux bagages très différents. “Les Inégalités entre élèves sont terribles” souligne notre auteur.
  • Les “transformations rapides et multiples de la société“. Les cours dispensant des images d’Épinal ne suffisent plus. Les élèves ont accès à de multiples sources, de multiples représentations et interprétations des faits. La version classique que l’école peut, trop souvent encore, leur fournir n’est plus crédible et est trop éloignée de leurs expériences propres. La légitimité de l’école en souffre.
  • L’évolution de la conception de la culture: celle-ci n’est plus la somme de faits validés par une élite et retranscrite dans une encyclopédie, mais plutôt le résultat de la rencontre entre ces faits, la critique, le trivial, l’humour.

Cette analyse n’est pas en soi une révolution, elle est peu ou prou partagée par de nombreux acteurs du systèmes éducatifs. L’originalité de l’approche de Mara Goyet, c’est la méthode qu’elle préconise pour trouver, pour inventer des solutions aux problématiques du collège. Plutôt que de partir au galop pour implémenter des réformes plus ou moins ponctuelles, plus ou moins contradictoires, plus ou moins dogmatiques et plus ou moins imposées par le Ministère, commençons par observer ce qui se passe au quotidien dans un collège pour ensuite, et seulement ensuite, proposer des modifications réalistes et efficaces.

Cette description “triviale” du quotidien débute par ce qui devrait être au centre du système éucatif: l’élève. Qui est-il? Ou plutôt qui sont-ils? Comment réagissent-ils? Comment mieux les connaître et inventer de meilleures relations avec eux? Comment transmettre en tenant compte de leur environnement, et de leurs humeurs, aussi? Comment coopérer avec les parents? Comment concilier auprès d’eux les nécessités de transmettre un savoir commun et de les laisser s’affirmer en tant qu’individus? Comment comprendre leurs réactions face aux malheurs du monde?

Et les profs dans tout ça?

Comment maintenir l’ordre dans une classe désorientée par l’arrivée d’un insecte volant? Pourquoi les règles et les punitions sont-elles des outils à double tranchant? Comment réagir face à des élèves dont le système scolaire ne veut manifestement plus? Comment parler de citoyenneté et de la Marseillaise? Comment évaluer les élèves?

Mais aussi: qui sont-ils, ces profs? Quelles sont leurs motivations? Leurs peurs et leurs espoirs? Qu’est-ce qu’un “bon” prof (je reviendrai bientôt sur cette notion dans un prochain article)?

Mara Goyet aborde toutes ces questions (et bien d’autres encore) en partant de situations réelles, souvent drôles, parfois tristes. Si ce livre n’apporte que des esquisses de réponse à certaines de ces questions, il permet à la fois de (re)prendre conscience de la complexité des situations, mais aussi de sentir l’énergie et l’inventivité des élèves. Les réponses toutes faites ne suffiront pas à satisfaire leur envie d’apprendre, de comprendre, de s’approprier les connaissances. La variation des outils pédagogiques, la réactivité aux situations, une envie chevronnée au corps d’être au service des élèves pour les faire avancer…et une touche d’humour, toujours, sont pour Mara Goyet les clés dont on ne pourra pas se passer si l’on veut transcender les contradictions du collège unique.

Ce que j’ai le plus aimé dans ce livre:

  • Je le dis, je le répète: l’humour tendre de l’auteur envers ses élèves (et du coup envers nous, anciens collégiens de l’ère jurassique)
  • L’importance accordée aux résultats (Mara Goyet semble ne pas vouloir utiliser tous les moyens pour arriver à ses fins….mais presque!)
  • La réaffirmation non théâtrale que l’école n’est pas seulement là pour produire des individus capables de gagner leur vie en travaillant, mais des individus humanistes qui peuvent varier leurs centres d’intérêt car on leur a donné les clés nécessaires pour comprendre le monde dans lequel ils vivent et vivront.
  • La discussion sur le sujet d’envoyer de jeunes profs débutants dans les collèges les plus difficiles. Mara Goyet souligne les points négatifs de cette façons de faire (qui va à l’encontre de nombreuses recommandations internationales), mais aussi certains points positifs (les qualités pour enseigner en collège “tranquille” et en ZEP seraient si différentes qu’être un bon prof dans le premier cas de figure ne serait pas l’assurance de l’être dans le second, la jeunesse des profs leur assure une motivation et des idéaux plus ancrés, la plus grande disponibilité des jeunes profs, qui, n’ayant pas de famille, peuvent passer plus de temps dans l’enceinte du collège, l’opportunité d’apprendre sur le tas l’essentiel du métier). Pour ma part, ces points positifs ne me convainquent pas, mais il est intéressant d’avoir l’opportunité de les entendre.
  • La métaphore filée entre le collège aujourd’hui et le dernier James Bond Skyfall (la boucle est bouclée, on en revient à l’humour fin de Mara Goyet)

Mara Goyet publie aussi régulièrement un blog sur le site du Monde, n’hésitez pas à aller y jeter un oeil de temps en temps!

 

 

 

 

 

 

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