La recherche en éducation est-elle crédible? Réponse de Tom Benett

Chaque jour, je vois défiler sur mon mur Facebook des dizaines d’articles mettant en avant de nouvelles recherches en éducation. Dans l’ensemble, ces recherches vont dans le sens de plus de personnalisation, de prise en compte des capacités et besoins de chaque élèves, et de moins d’enseignement frontal allant de l’enseignant aux élèves. Tom Benett, enseignant en philosophie et en religion à Londres, apporte un oeil critique sur certaines de ces recherches dans son livre “Teacher Proof”. Pour une fois, je vais vous parler d’un livre que je n’ai pas aimé – mais qui posent de vraies questions.

C’est par le miracle de Twitter que je suis tombée sur ce livre (malheureusement non disponible en français) au sous-titre prometteur: “Pourquoi la recherche en éducation ne prouve pas toujours ce qu’elle prétend et ce que vous pouvez faire par rapport à cela“¹.

Tom Benett - Teacher Proof

Tom Benett – Teacher Proof

Résumé:

Tom Benett est, selon ses propres termes, un adepte du positivisme. C’est à dire qu’il croit en ce que la science peut prouver, selon des méthodes scientifiques rigoureuses. Les théories non validées par ces méthodes ne sont par conséquent à ses yeux que des opinions.

Tom Benett - Teacher Proof

Tom Benett – Teacher Proof

Or, pour lui, si les sciences dures (maths, physique, biologie,…) permettent de comprendre le monde qui nous entoure et de l’influencer par le développement de technologies basées sur des principes “vrais” (c’est-à-dire “prouvés”) et qui fonctionnent dans la vie quotidienne, les sciences humaines, par nature, ne peuvent prétendre au même niveau de véracité. Trop de biais et de facteurs externes viennent “polluer” les résultats statistiques des études.

Par ailleurs, il reproche à de nombreuses études dites “scientifiques” de ne pas suffisamment respecter les principes de base garantissant des résultats non biaisés. Soyons justes et clairs: Tom Benett ne prétend pas dans son livre que l’on ne peut rien apprendre sur le monde grâce aux sciences humaines, il reconnaît que de nombreuses recherches sont bien menées et qu’elles apportent alors des éléments de réponse. Mais il les trouve trop rares. En se basant sur la définition de la méthode scientifique, notre auteur accuse la recherche en éducation de souvent souffrir des maux suivants:

Méthode scientifique

Méthode scientifique

  • désir d’être publié et de renommée personnelle: la tentation est souvent forte pour les chercheurs de fournir des résultats tonitruants et en accord avec les “modes” du moment
  • effet tiroir et recherche des faits en faveur de l’hypothèse de départ: tendance à mettre de côté les résultats invalidant cette ‘hypothèse et à mettre en avant de ceux qui la corroborent
  • interprétation erronée des résultats: faire dire aux résultats des choses qu’ils ne disent pas
De l'interprétation des faits

De l’interprétation des faits
Tom Benett – Teacher Proof – p.26

En tant que lecteurs et/ou que chercheurs, Tom Benett nous invite à être critique sur les études “scientifiques” que nous rencontrons et nous donne les conseils suivants pour juger de leur sérieux:

  • Par qui cette étude est-elle financée? Pourrait-il y avoir des conflits d’intérêts?
  • Quel est le nombre de personnes interrogées lors de l’enquête (le fameux n statistique)? Celui-ci est-il suffisamment élevé?
  • L’étude contient-elle un groupe test? A-t-on par cette méthode pu vérifier que les résultats obtenus ne relevaient pas de facteurs complètement différents à ceux envisagés?
  • A-t-on tenu compte de l’effet placebo en instaurant des tests en double aveugle?
  • L’hypothèse de départ semble-t-elle avoir été étudiée à charge et à décharge ou la balance penchait-elle déjà d’un côté dès le départ?
  • La différence entre corrélation et causalité est-elle bien prise en compte?
  • L’influence que l’observateur a sur l’observé (effet dit de Hawthorne) est-il pris en compte et a-t-on essayé de le limiter au maximum?

Armé de son cadre d’analyse entre “bonne” et “mauvaise” science ainsi que de son expérience en tant qu’enseignant Tom Benett s’en prend plus particulièrement à la recherche en éducation:

Mon opinion est la suivante: la science de l’éducation a apporté vraiment peu d’éléments sur la compréhension de ce qui se passe dans une salle de classe, qu’un enseignant compétent n’aurait pas pu discerner par lui-même au bout de quelques années d’expérience. (…) Je sui extrêmement surpris par le nombre d’études qui sont soit manifestement fausses ou évidentes  – p 57

Voilà pour la partie introductive. Dans la suite de son ouvrage, Tom Benett observe avec attention des théories liées à l’éducation et souligne avec un humour mordant les insuffisances des études sensées les valider. Voici les 13 croyances vaudou de Tom Benett:

  • Intelligences multiples d’Howard Gardner (si ce sujet vous intéresse, mon article sur les intelligences multiples se trouve ici)
  • NLP et Brain Gym
  • Travail en groupe
  • Intelligence émotionnelle
  • Compétences du XXIème siècle
  • Mieux apprendre grâce à la technologie
  • Structurer les cours en 3 parties (intro, leçon, bilan)
  • Styles d’apprentissage (visuel, auditif, kinesthésique)
  • Gamification 
  • Apprendre à apprendre
  • Méthode des 6 chapeaux pensant de De Bono
  • Uniformes scolaires

Pour chacune des ces théories, Tom Benett dénonce soit un manque de données statistiques valides, soit des insuffisances dans les méthodologies des études. S’il ne rejette pas forcément l’application de certaines méthodes en classe, comme par exemple le travail en groupe ou la structuration des cours en 3 parties, il s’insurge contre le fait de les ériger en dogme imposé aux enseignants par leur hiérarchie.

Enfin, le livre se termine par une liste de conseils de Tom Benett à ses confrères pour soutenir au mieux leurs élèves dans leurs apprentissages: favoriser la présence des élèves dans les cours et un comportement calme dans les classes, promouvoir le fait de travailler dur pour apprendre, donner des feedbacks régulièrement aux élèves sur leurs performances et sur les façons de s’améliorer, avoir des attentes ambitieuses pour les élèves, bien connaître son sujet et être un bon communiquant en tant qu’enseignant, et enfin garder son indépendance et son intégrité face aux recommandations relevant des méthodes “vaudou” citées ci-dessus.

 

Mon avis

Je ne m’en cache pas, je n’ai pas adhéré à ce livre et je crois que les arguments invoqués par Tom Benett peuvent se retourner contre lui:

  • Démontrer qu’une étude comporte des insuffisances ou que les données statistiques manquent ne prouvent pas qu’une théorie soit fausse.
  • Si l’on admet que les théories mentionnées ci-dessus ne sont pas prouvées scientifiquement, cela ne prouve pas non plus que les méthodes plus traditionnelles ou les recommendations de Tom Benett soient- elles- vraies. En fait, pourquoi les autres devraient-ils apporter des preuves corroborant leurs idées alors que lui justifierait sa légitimité sur une expérience individuelle et l’affirmation qu’il détient, lui, le “bon sens”?
  • L’idée que les méthodes d’apprentissage verticales soient les plus efficaces reposent sur l’expérience de nombreuses génération, mais a-t-il été prouvé qu’elles soient optimales? Le quotidien des classes semblent démontrer le contraire, en tout cas pour certains élèves?

Mais il faut bien reconnaître que certains points peuvent nous amener à réfléchir:

  • Est-il moralement acceptable d’utiliser des méthodes dont l’efficacité est douteuse? Le risque est de gaspiller des ressources précieuses (argent du contribuable, temps précieux des enseignants et des élèves)? Avons-nous le droit d’utiliser des méthodes douteuses avec des enfants et de leur faire ainsi courir le risque de ne pas autant apprendre qu’ils auraient pu le faire?
  • Comment pouvons-nous faire preuve de vigilance face aux études que nous lisons? Les sources ne sont pas toujours si faciles à trouver, le détail des calculs pas toujours accessibles. Notre esprit critique est requis, ouvrons l’oeil et le bon lorsque nous prônons l’une ou l’autre des ces méthodes (ou tout autre d’ailleurs).
  • Qui est légitime pour parler d’éducation? Uniquement les enseignants, comme le laisse penser Tom Benett? Quel rôle pour les chercheurs? Ou faudrait-il plus intégrer les enseignants dans la recherche?

Je suis bien impatiente de savoir ce que vous en pensez…

 

¹ Traduction faite par moi-même, un traducteur professionnel aurait sûrement mieux fait, mais le sens est juste

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