Les bons enseignants méritent d’être reconnus: Interview avec une finaliste du Global Teacher Prize

Le 15 mars dernier, la Fondation Varkey,  annonçait la gagnante du tout premier Global Teacher Prize: Nancie Atwell. Cette enseignante américaine, créa sa propre école et rédigea plusieurs ouvrages de pédagogie. Une des 50 finalistes de ce prix, Mareike Hachemer, nous explique depuis son pays natal, l’Allemagne, ce qu’elle retire de sa participation à ce prix et quels sont pour elle les aspects primordiaux de l’enseignement.

Depuis 2009 déjà, l’éducation dispose d’un espèce de Prix Nobel: le prix WISE. Celui-ci récompense en général des personnalités issues du monde politique ou du monde des affaires qui ont eu un impact fort sur l’accès à l’école ou sur la qualité des enseignements.

Cette année, la Fondation Varkey a décidé, elle, de porter sur le devant de la scène le rôle prépondérant des enseignants eux-mêmes. Afin de promouvoir le message “enseigner compte” (teaching matters en anglais), cette fondation localisée à Dubai a créé une sorte d’Oscar des enseignants, avec à la clé 1 millions de dollar: The Global Teacher Prize.

 

Global Teacher Prize

Global Teacher Prize

50 finalistes venus de 23 pays différents (mais dont aucun de ne venait de France 😥 ) furent sélectionnés selon les 7 critères suivants:

  • Leurs résultats avec leurs classes,
  • L’emploi de méthodes innovantes et efficaces pour favoriser l’apprentissage des élèves,
  • Leur contribution au débat public sur l’Éducation et sur le rôle primordial des enseignants,
  • Leur engagement pour promouvoir la profession d’enseignant,
  • Leur capacité à préparer leurs élèves à être des citoyens du monde,
  • Leur capacité à développer et à partager des idées innovantes qui ont permis de faciliter l’accès à l’éducation  pour des élèves de différents milieux, et
  • Leur engagement en deçà de leurs classes

Une des candidates venue d’Allemagne a bien voulu répondre à mes questions sur son expérience quant à ce prix ainsi que sur sa vision de l’enseignement: Mareike Hachemer.

Mareike Hachemer

Mareike Hachemer

Isabelle: Mareike, Pouvez-vous vous présenter rapidement et nous dire pourquoi vous avez été nominée pour le Global Teacher Prize?

Mareike: J’enseigne les langues, notamment l’Anglais et l’Allemand, depuis 7 ans maintenant. Il y a peu, je suis aussi devenue prof d’Arts dramatiques. Ma formation me permet d’enseigner à des élèves qui ont entre 10 et 19 ans et qui préparent leur bac (note de l’auteur: dans certaines régions d’Allemagne, l’équivalent du bac se passe à 19 ans) .

Dans ma pratique quotidienne, j’essaie de comprendre ce qui revêt de l’importance aux yeux de mes élèves et je les encourage à devenir des citoyens du monde. C’est ainsi que j’ai développé des modules pour faciliter le volontarisme ou pour développer leurs capacités de rédaction pour qu’ensuite leurs travaux soient publiés. Pour moi, il est primordial que mes élèves puissent aussi souvent que possible créer des contenus qui ne soient pas que de simples exercices, mais qui aient aussi une utilité dans la vraie vie, en dehors de la salle de classe. Ce que je veux, c’est qu’ils voient par eux-mêmes qu’ils peuvent déjà avoir un impact réel! 

Et puis j’aime échanger des idées sur l’enseignement avec des collègues du monde entier. Pour cela, j’utilise par esemple le programme “Pestalozzi”, organisé par le Conseil de l’Europe, ou alors je discute de mes cours avec les autres nominés du Global Teacher Prize ou encore avec de futurs enseignants.

Isabelle: Quelle est votre philosophie de l’enseignement? Pourquoi est-ce important pour vous?

Mareike: Il me semble encore très difficile de développer une “philosophie” de l’enseignement. Aujourd’hui, j’en suis encore au stade de rassembler, de comparer et d’évaluer pour moi-même différentes idées.

De nombreuses théories mettent l’accent soit sur l’apprenant, soit sur l’enseignant, soit encore sur le contenu de l’enseignement. Je crois quant à moi que ces trois aspects doivent être beaucoup plus liés.  Le contenu doit être choisi en fonction de son utilité pour les élèves et pour la société. Les élèves doivent être appréhendés par des méthodes qui les aident vraiment. Enfin, le enseignants doivent faire en sorte que le processus soit viable et leur permette de tenir sur la durée.

Isabelle: Comment décririez-vous  un bon enseignant? Quelles qualités sont-elles nécessaires pour devenir un bon prof?

Mareike: Les bons enseignants doivent être ouverts d’esprit, créatifs et faire confiance à la vie. Ils devraient toujours se poser des questions sur l’impact de ce qu’ils enseignent. Et enfin ils doivent maîtriser un large répertoire de méthodes pédagogiques ou didactiques pour aider les élèves à acquérir les compétences requises.

Isabelle: Qu’est-ce que vous avez appris sur le fait d’être un bon enseignant en participant au Global Teacher Prize?

Mareike:  J’ai appris que l’école et la société devraient être encore plus liées que ce que nous pensons possible aujourd’hui. Les millions d’élèves dans nos écoles ne sont pas des êtres qui ont besoin d’être préparés pour qu’ils puissent, plus tard, contribuer à notre société. Ils peuvent le faire très tôt dans leur vie! Comme par exemple les élèves de Stephen Ritz qui, au beau milieu du Bronx à New York, ont comencé à faire pousser des légumes et des fruits dans leur école, puis dans tout le quartier. C’est ainsi qu’ils apprennent que dès leur plus jeune âge, ils peuvent avoir un impact positif. 

Cela paraît une évidence, mais les chiffres sont sans ambiguïté: l’éducation est le meilleur mécanisme dont nous disposons pour lutter contre la pauvreté, le racisme, l’intolérance et l’étroitesse d’esprit. 

Isabelle:  Un des buts principaux de ce prix est d’augmenter la reconnaissance sociale envers les enseignants. Est-ce que cela a marché pour vous et pour vos collègues?

Mareike: Pour moi, cela a bien fonctionné. Cela a encore renforcé l’importance que je portais déjà à la profession. C’est sur ce métier que repose la préparation de la prochaine génération. Et dans de nombreux pays, la discussion sur le rôle et l’importance des enseignants a pris un tout nouvel essor.

Mais en Allemagne les médias ont surtout traité cette information comme l’histoire d’un enseignant local qui pouvait gagner 1 million de dollar au lieu d’essayer d’ouvrir le débat sur ce qu’est un bon système éducatif, ou de poser des questions telles que de savoir jusqu’à quel degré nos élèves doivent penser de façon globale et comment ils doivent grandir.

Cela a été une expérience inoubliable d’écouter Bill Clinton lors du Forum International de l’Éducation et des Compétences à Dubai. Il a lui aussi dit que les enseignants ont le métier le plus important. Il se souvient lui aussi de chaque prof qu’il a eu et qu’il ne serait jamais devenu Président sans ses enseignants.

Isabelle: Mareike, si vous aviez gagné le prix d’ 1 million de dollars, qu’auriez-vous fait de cet argent?

Mareike: J’ai été vraiment surprise lorsque j’ai appris le montant de ce prix. Cela ne collait pas avec l’image que j’avais d’un prof! C’est pourquoi j’aurais dépensé cet argent pour soutenir mon travail avec mes élèves. Permettez-moi de rêver un instant: ne serait-ce pas merveilleux de fonder une école ouverte à tous les enfants du monde qui souhaitent s’investir dans le fait de faire de notre monde un endroit meilleur?

Et puis comme mon travail théâtrale avec mes élèves a reçu plusieurs prix (de l’Union Européenne, de l’Ambassade d’Allemagne, du Goethe Institut, etc…) j’aimerais aussi poursuivre dans cette voie. J’aimerais rendre visite à d’autres écoles et d’autres théâtres dans le monde entier et discuter de leurs approches avec mes collègues, d’autres élèves, des éducateurs.

Note:L’interview original a été conduit en anglais. Retrouver plus d’info sur Mareike Hachemer et son travail sur son site (en anglais et allemand).

 

Pour cette fois, Mareike n’a pas gagné le Global Teacher Prize. J’imagine que les membres du jury ont dû faire face à un choix cornélien pour départager les candidats. En tous les cas, Mareike est un exemple parfait de la façon dont les enseignants peuvent inspirer leurs élèves et faire le lien entre ce qu’ils apprennent à l’école t la façon dont ils peuvent se servir de ces connaissances pour améliorer la vie réelle.

L’énergie et la passion démontrées par Mareike et les 49 autres finalistes sont admirables…mais je ne crois pas qu’ils soient une exception. Quand je vois la quantité de ressources que les enseignants mettent gratuitement à disposition de leurs collègues sur internet, le nombre de pages Facebook ou de blogs créés par des professeurs avides de discussion et d’améliorer leur pratique, même si cela leur demande du temps, je suis définitivement d’avis que notre société devrait accorder un plus grande reconnaissance aux enseignants et mieux soutenir leurs efforts. J’espère que le Global Teacher Prize sera un outil pour aller dans ce sens et qu’il inspirera tous les enseignants à faire leur métier avec passion…

 

One thought on “Les bons enseignants méritent d’être reconnus: Interview avec une finaliste du Global Teacher Prize

  1. laturbulette

    Merci Isabelle pour ce beau portrait d’une prof énergique, passionnée, toujours en recherche concernant sa pratique professionnelle…. Ça fait du bien de lire de telles lignes en se réveillant et cela donne confiance dans le fait que l’énorme potentiel qui existe concernant l’éducation arrivera à s’exprimer un jour… mais dans pas trop longtemps hein? Nos enfants commencent juste à être scolarisés… ce sont les citoyens de demain!

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