L’effet Pygmalion: ni héros, ni coupable

L’effet Pygmalion, ou le fait que les idées préconçues des professeurs peuvent influencer les résultats scolaires des élèves, a souvent été présenté de façon manichéenne. Pour les uns, il suffirait de l’appliquer dans sa version positive pour améliorer les performances des individus alors que pour d’autres il fait partie des facteurs les plus puissants de reproduction des inégalités sociales. Et si nous essayions de remettre l’église au centre du village?

L’effet Pygmalion a été mis en évidence à la fin des années 1960 par Robert Rosenthal. Grace à des expériences sur des rats puis sur des élèves, ce psychologue américain a illustré son hypothèse selon laquelle les attentes des professeurs quant aux résultats de leurs élèves seraient des prophéties auto-réalisatrices. Lorsque un professeur croit en la capacité d’un enfant de bien réussir, celui-ci a de plus grandes chances d’améliorer ses aptitudes. Et inversement (dans ce cas, on parle parfois d’effet de Golem).

Ce mécanisme de prophétie auto-réalisatrices se produit selon 4 phases:

Effet Pygmalion: Mécanisme de la prophétie auto-réalisatrice

De nombreuses études se sont penchées sur l’origine et la pertinence de la perception que le professeur a de son élève au début de la relation (voir notamment l’étude très complète de David Trouilloud et Philippe Sarrazin de l”université de Grenoble). Comment émerge-t-elle et quelles en sont les conséquences?

La perception qu’un professeur développe envers un élève peut se baser sur deux types de sources:

  • des informations valides (les résultats scolaires précédents et aux premières évaluations de l’année, les résultats à des tests d’aptitude, ou encore au comportement de l’élève)
  • ou des préjugés socio-démographiques (âge, sexe, origine ethnique, milieu socio-économique,…) ou même personnels (sentiment de sympathie ou d’antipathie).

Dans le premier cas, les chances de se trouver dans la situation d’une prophétie auto-réalisatrice sont moindres. D’une part parce que souvent l’expérience des professeurs leur permet de refléter assez précisément les aptitudes des élèves et de prédire leur évolution (dans ce cas-là, il n’y a donc pas de prophétie auto-réalisatrice, mais une anticipation adéquate). D’autre part, les professeurs qui basent leur appréciation initiale sur des informations valides ont plutôt tendance à faire évoluer cette appréciation en cours de route, et peuvent par là même briser le cercle vicieux -ou vertueux – de la prophétie auto-réalisatrice.

Par contre, le second cas présente un plus fort risque de dérives. Soit le professeur distribue ses notes non pas en fonction des résultats objectifs mais en fonction de sa perception (ici encore, nous ne sommes pas dans le cas d’une prophétie auto-réalisatrice, mais bien d’une distorsion de la réalité), soit le côté rigide et fixe des préjugés fait en sorte qu’il est difficile de sortir du schéma de cette prophétie auto-réalisatrice.

Vous me direz que dans la vraie vie, ce n’est pas l’un ou l’autre, mais plutôt un mélange des deux. L’image que nous nous faisons d’une tierce personne tire ses racines à la fois de données objectives et de perceptions subjectives. Quel est alors l’impact de l’effet Pygmalion au quotidien?

Des études ont montré que, en moyenne, 5% ~a 10% du résultat des élèves pouvaient être expliqué par cet effet. Il est donc démesuré de voir dans l’effet Pygmalion la racine du développement ou de la reproduction des inégalités. De même, il ne suffit pas d’ordonner aux professeurs de croire aveuglement dans les capacités de leurs élèves pour que ceux-si réussissent haut la main. Pour pouvoir profiter des avantages de l’effet Pygmalion dans son aspect positif, il faut surtout que les professeurs (et les parents!) fassent preuve de confiance dans la possibilité que chacun puisse s’améliorer, quel que soit son point de départ.

“Tout cela est bien joli, mais concrètement, on fait quoi…?”

  • Engager la discussion avec le(s) professeur(s) des enfants dès le début d’année. Cela ne le(s) fera peut-être pas changer d’avis, mais cela vous permettra de vous faire une idée sur la proportion entre informations valides et préjugés (mais ne pas oublier que nous aussi nous arrivons dans cette discussion avec nos propres préjugés!)
  • Contrecarrer les effets d’un possible effet Pygmalion par une attitude ouverte et constructive à la maison (voir l’article sur les types d’état d’esprit)
  • Relativiser en se disant que d’autres facteurs psychologiques jouent sur les résultats de vos enfants (notamment les rapports avec ses pairs)

“…et que pourrait faire le système scolaire?”

  • Sensibiliser les professeurs lors de leur formation initiale ET en formation continue
  • Introduire un second avis lors de l’évaluation des élèves pour contrecarrer les potentiels préjugés
  • Eviter les classes surchargées dans lesquelles les professeurs ont tendance à créer une perception moins nuancée et plus fixe que dans des petites classes où ils peuvent mieux connaître leurs élèves
  • Envoyer des professeurs expérimentés, et donc plus au courant de l’effet Pygmalion, dans les classes “difficiles” au lieu de les réserver aux professeurs débutants.

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