Mes 6 heures d’enseignement dans une classe de CE1

Six heures dans une classe de CE1 pour discuter avec les élèves des échanges économiques au sein d’une collectivité – ou comment celui qui enseignait fut celui qui apprit le plus.

L’association Junior Achievement propose aux Etats-Unis et dans de nombreux autres pays un programme de quelques heures pour sensibiliser les élèves du primaire et du collège aux questions économiques. Les parents sont appelés à se porter volontaire pour présenter ce programme aux élèves.

Je ne pouvais bien sûr pas laisser passer cette chance! Ni une ni deux, me voilà inscrite et prête à faire face à 20 enfants de 7-8 ans pour 6 heures d’affilée…

 

Ma journée en classe de CE1 - Junior Achievement

Ma journée “Junior Achievement Day” auprès d’une classe de CE1

Durant les quelques jours qui ont précédé, je me suis demandée à plus d’une reprise ce qui m’avait poussé à faire ce geste inconsidéré! La séance d’information organisée par le responsable local de l’association fit encore monter la pression d’un cran: non seulement on nous mit entre les mains 15 kg (j’ai pesé!) de matériel, mais en plus on nous prévint que les élèves étaient en général si contents de voir d’autres intervenants que leurs professeurs habituels qu’ils en profitaient souvent pour être plutôt indisciplinés. Regards perplexes des parents volontaires: “Que diable allions-nous faire dans cette galère!”

Mais nous avions promis…il ne nous restait plus qu’à nous exécuter.

Un soir, je m’attablais donc devant la pile de matériel et le livret de cours sur la “collectivité”. Première session: “une collectivité est un ensemble de personnes qui travaillent pour gagner de l’argent et pour pouvoir acheter ce dont ils ont besoin et ce qu’ils désirent”. Mon sang ne fit qu’un tour: voulait-on vraiment inculquer aux élèves que les gens qui ne travaillent pas, ou ne gagnent pas d’argent pour leur travail, ne font pas partie de la collectivité?

Je découvrais peu à peu que je ne pourrai pas me contenter de suivre bravement le flot proposé dans le livret, il me faudrait le modifier à ma sauce…et cela allait prendre du temps.

Deuxième session: “diviser les élèves en groupes de 6 et faites-les fabriquer des donuts. Pour cela, distribuer à chaque groupe 2 feuilles avec les donuts, 4 feuilles avec les autocollants des ingrédients et 1 feuille de contrôle de qualité”. Ca avait l’air facile comme ça, sur le papier. Mais concrètement? Ils sont assis comment les élèves? Je les fais changer de place? Je passe 10 minutes à simplement distribuer des feuilles? Je leur demande de m’aider? Mais alors, je fais quoi moi pendant ce temps? J’explique les consignes au risque qu’ils n’écoutent rien? Je vais prendre un café?

Nouvelle découverte: la manipulation du matériel devait aussi être planifiée et dépendait en grande partie de la configuration de la salle de classe, du nombre d’élèves présents ce jour-là, des compétences des uns et des autres, des affinités entre élèves,…Il me faudrait organiser une rencontre avec leur enseignante pour lui poser quelques questions d’ordre pratico-pratique….et cela allait prendre du temps.

Enfin, après un total de 10 heures de préparation et 3 réunions avec les professeurs et les autres parents, le jour ” J” arriva. L’estomac un peu serré, je m’apprêtai à accueillir les élèves. Que n’aurais-je pas donné à cet instant pour parler stratégie de croissance ou réduction de coûts  devant des cadres supérieurs d’une boîte du CAC 40!

En fin de compte, les six heures se passèrent très bien. Les élèves participèrent avec enthousiasme aux activités et ne remarquèrent pas lorsque j’omis de distribuer les cartes postales avec magnets ou encore lorsque j’intervertis deux activités. Personne ne pouffa de rire lorsque je lus un texte en anglais et tous eurent l’air de comprendre le mélange d’anglais et d’allemand que j’utilisai. En fin de séance, leur professeur leur demanda de me remercier individuellement et je vécu 10 minutes extraordinaires à écouter ces petites voix me confier ce qui les avait intéressées et ce que ces enfants avaient appris.

 Se rendirent-il compte que ce n’était pas eux qui avaient appris le plus? Je vous livre mes pensées sur cette expérience (mes “key insights”, comme on dit ici).

  • Une classe est un petit monde en soi, avec son histoire, ses règles plus ou moins formulées, ses habitudes. L’enseignant doit passer du temps pour accompagner la construction de cette entité. Il me semble alors qu’il peut jouer de tous ces éléments comme on jouerait d’un instrument de musique pour amener la classe là où il le souhaite. N’intervenant que pour une si courte période, j’ai dû leur faire l’effet d’un éléphant dans un magasin de porcelaine alors qu’ils sont habitués à une professeur qui possède la grâce d’une danseuse de ballet.
  • Qu’il est facile et confortable de donner la parole aux élèves qui souhaitent la prendre et qui apportent des réponses intéressantes…et à négliger les autres. En plein dans mon champ de vision se trouvait une fille motivée et intelligente qui voulait répondre à tout. Je m’aperçu au bout d’un moment que je lui demandais souvent de parler, alors que je n’interrogeais que très peu deux garçons qui, premièrement, ne semblaient pas si passionnés, et deuxièmement se trouvait hors de mon champ de vision direct. Même si je me disais que je devais leur prêter plus d’attention, je les “oubliais”. Il m’a fallu en fin de compte me placer à un autre endroit d’où je les voyais mieux pour leur accorder l’attention qui leur était due. L’espace me semble donc être un autre élément essentiel à maîtriser dans une classe.
  • L’aspect logistique , s’il peut paraître mineur, est un vraie peau de banane! Faut-il expliquer les consignes en distribuant le matériel? Faut-il demander à des élèves d’aider? Comment s’assurer que les uns ne commencent pas alors que d’autres n’ont pas encore leurs feuilles devant eux? Ou alors que de joyeux bavardages fleurissent instantanément? Ou que répondre à un élève se plaignant d’être traité injustement (il n’avait que 5 feuilles à distribuer alors que son voisin, lui en avait 8!)? Tous ces instants sont potentiellement porteurs de distraction et ensuite il faut regagner l’attention des élèves….tout en surveillant le temps qu’il reste.

Alors m’en suis-je bien sortie? Si je reprends les quatre dimensions nécessaires pour être un “bon prof”, voilà comment je m’auto-évaluerais, en tenant compte du peu de temps que j’ai passé dans la classe:

  • Maîtrise des savoirs: j’ai sans doute largement sous-estimé le temps nécessaire à la préparation. J’ai donc eu de la chance d’être dans une classe de CE1 et pas une classe de 4ème, ou les questions auraient sans doute été plus difficiles à traiter.
  • Maîtrise de la didactique: les répétitions dans le flot du programme me paraissaient à première vue ennuyeuses et j’ai eu tendance à les éliminer. Or elles étaient souvent nécessaires pour les élèves.
  • Construction d’une relation avec les élèves: qu’il est crucial de se souvenir des prénoms des élèves et de leur montrer qu’on les a écoutés en leur citant ce qu’ils ont dit précédemment! Cela m’a demandé beaucoup de concentration.
  • Confiance dans le potentiel de chacun: en théorie oui, mais en pratique, comme je le mentionne plus haut, il est bien plus facile de se focaliser sur les plus actifs.

En résumé une très belle expérience qui me convainc à nouveau, et s’il en était besoin, que les enseignants font un métier d’équilibristes, mais que ce métier peut s’apprendre, que chacun peut s’améliorer dans sa pratique.

Et vous? avez-vous passé du temps à enseigner dans une classe? Quelles ont été vos découvertes?

2 thoughts on “Mes 6 heures d’enseignement dans une classe de CE1

  1. laturbulette

    Bravo à toi!!! 6 heures…. je ne sais pas si moi j’y serais arrivée!! mais tu t’es bien débrouillée je trouve… et la synthèse que tu en fais est très intéressante… tu recommences quand? :-)

  2. Isabelle Post author

    L’année prochaine sans faute! Mais je ne sais pas encore si je refais la même séance (maintenant que je connais le contenu…) oui si je me lance avec les CE2…

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